L’IA générative une chance pour les média ?

Depuis des années, des contenus sont automatiquement générés lors des élections locales par exemple. A partir des décomptes de votes, il est possible de générer de petits textes pour chaque département, chaque ville, voire chaque bureau de vote. Pas de l’IA, mais de la génération de textes qui simplifient le travail des journalistes.

ChatGPT a ouvert les yeux du public à d’autres applications. Des textes plus complets, des points de vue plus orientés, voire de la véritable création d’opinions ! On imagine donc que des journaux vont utiliser ChatGPT pour générer des contenus semi-automatisés.

La génération d’images avec des outils comme MidJourney ou Criayon a aussi fait grand bruit. Il est souvent aujourd’hui difficile de détecter ces images 100% artificielles. Bon d’accord, il y a parfois quelques doigts de trop à une main, mais ça passe souvent inaperçu.

Côté vidéo, dès 2019, un deep fake remplaçait le visage de Jack Nicholson par celui de Jim Carrey. De nombreux ‘autres exemples sont venus récemment montrer le potentiel et la dangerosité de ces outils.

On pourrait donc penser que les média vont très vite se saisir des nouvelles technologies, et faire générer par ordinateur des textes, des images (ça coûte cher un photographe), et des vidéos (c’est dangereux le métier de reporter de guerre !).

Mais non, je pense que c’est tout le contraire qui va se passer.

Vous savez peut-être comme je suis attaché à la lutte contre la désinformation scientifique, sociale et politique. C’est je pense l’un des plus grands dangers pour nos démocraties.

Ce ne sont pas les journalistes qui vont le plus s’accaparer ces outils. Ce sont ceux qui n’ont justement pas les principes déontologiques des journalistes. Les technologies génératives vont pulluler sur les réseaux sociaux, les sites conspirationnistes.

Pourquoi ? Justement parce qu’elles s’affranchissent de la vérité. Elles sont intrinsèquement faites pour créer des vérités alternatives, voire des mensonges, donc des fake news.

Que va-t-il donc se passer ? Une prolifération illimitée de contenus créés, plus vrais que nature. Il ne sera pas possible de distinguer le vrai du faux (le problème du nombre de doigts n’est que transitoire). Plus encore que maintenant, l’accent sera mis sur l’émotion, au détriment de la raison. Plutôt que de suggérer que Macron et Céline Dion se repaissent de sang d’enfants sacrifiés pour l’élite (le mythe de l’adrénochrome, présenté dans TPMP sans que M. Anouna ne le démonte), on montrera une vidéo où les intéressés sont pris la main dans le sac.

“Vu à la télé”, vous vous souvenez de ces étiquettes qui fleurissaient sur les packagings ? “C’est vrai, je l’ai vu sur Internet” disons-nous depuis 20 ans. Plus aucun de ces mantras n’aura peut-être de sens à l’avenir.

Qui croira-t-on alors ? On croira ses proches (cet aspect ne disparaîtra pas). Certains, pourfendeurs de l’ordre établi, croiront les sources qui corroborent leurs points de vue. Mais la grande majorité ne croira plus grand-monde au final.

C’est là qu’intervient la fiabilité des sources. On ne croira plus que ceux en qui on peut avoir confiance.

La démocratisation de l’accès puis de la génération de l’information ont créé les deux premières grandes périodes de l’internet. On a atteint aujourd’hui les limites de ce système. Certains disent déjà : pourquoi croire un journaliste (payé pour écrire, par des journaux eux-mêmes financés par des milliardaires ou des états) plutôt qu’un individu lambda, seulement mu par sa volonté de faire éclater la vérité ?

Cela correspond je trouve à un aspect de la République de Platon : la démocratie dégénère en anarchie. Dans un précédent article, j’avais pointé la responsabilité des algorithmes des réseaux sociaux dans cette évolution. Cette responsabilité se voit maintenant amplifiée par l’IA générative.

A force de dire que tout le monde se vaut, plus personne n’a de valeur. Lorsqu’il y aura tellement de contenus crédibles que tout et son contraire pourra être cru, plus rien n’aura d’importance.

Il se peut alors, je croise les doigts, que des marques média, à condition qu’elles mettent en avant leur déontologie, redeviennent des sources fiables auxquelles il faudra se référer.

Non pas pour les irrécupérables qui ne comprennent que ce qu’ils veulent comprendre.
Mais pour ceux, sincères, qui s’intéressent, qui cherchent à rationaliser le monde, qui critiquent ce qu’ils voient et ne croiront plus tout ce qu’on leur montre, pour ceux là, les média redeviendront une source de confiance.

En politique, la démocratie me semble un meilleur système que l’oligarchie. Mais à l’ère de l’anarchie créée par l’intelligence artificielle générative et les réseaux sociaux, le système oligarchique, où certains ont plus de crédibilité (les média, avec des contenus sourcés, vérifiés et passés au crible de principes déontologiques), un tel système peut nous protéger des réalités alternatives, des mensonges et des fake news.

Laisser un commentaire