Les rapports ambigus de la publicité et des fake news

Dans mon dernier article, je parlais de l’adéquation entre un contenu et un visiteur du point de vue de la visibilité publicitaire. Adéquation soutenue par la qualité ressentie.

Développons aujourd’hui cette notion de qualité ressentie d’un contenu.

Je pourrais inclure de nombreuses dimensions dans cette notion de qualité, comme l’orthographe, la profondeur du propos, le style… Mais je ne me focaliserai aujourd’hui sur un seul axe, la véracité.

Les fake news sont un thème qui me tient fort à cœur depuis des années. C’est je pense un des maux majeurs de notre époque, j’en ai déjà parlé.

Quel est alors le rapport entre les fake news et la publicité ? Comme de nombreux sites éditoriaux, les sites de fake news sont souvent financés par la publicité.

Publicités floutées sur un site complotiste

Un ami m’a demandé conseil lorsqu’il s’est intéressé à la brand safety. Ma réponse alors avait été « tu vas découvrir la portée du mot hypocrisie ».

Je voulais dire par là qu’il allait mesurer la différence entre les discours et la réalité. Mais je nuance aujourd’hui la portée du mot « hypocrisie ».

Il est hypocrite de dire « les fake news sont des sites de mauvaise qualité sur lesquels je ne veux pas acheter de l’espace publicitaire ». Car cette phrase est ambigüe.

Les sites de fake news sont-ils de mauvaise qualité ?
Tout dépend, malheureusement, du point de vue.

Moralement, cela ne fait pas de doute.
Ceux qui rattachent les fake news à la liberté d’expression ne font que profiter d’un vide juridique qui ne punit pas la désinformation massive dès lors qu’elle s’attaque au bien public. La démocratie, la science, la justice sont autant de biens publics que l’on peut et que l’on doit challenger avec des arguments. Mais pas en martelant des mensonges jusqu’à ce que la population se rallie à la voix la plus fréquemment entendue.

Des annonceurs peuvent dire « Je ne veux pas financer des sites de fake news » . C’est un argument moral, tout à fait légitime.
Voilà pour la morale, ce n’est pas la ligne éditoriale de ce blog.

Mais qu’en est-il de l’efficacité publicitaire ?

C’est là qu’une double erreur est souvent commise. On juge un site à l’intérêt qu’on lui porte. Alors qu’il doit être jugé à l’aulne de l’intérêt que ses visiteurs lui portent.
C’est vrai pour la visibilité. C’est aussi vrai pour l’image de la marque, son branding.

Dire que l’on ne veut pas que sa marque soit dans tel ou tel contenu, pour des questions d’efficacité, c’est discutable. On peut considérer que la pornographie est dégradante, mais ce n’est certainement pas le point de vue de ses consommateurs. Si l’occasion leur en était donnée, ils ne jugeraient peut-être pas que les publicités placées sur ces sites sont dévalorisées par leur environnement.

Idem pour les fake news. Un lecteur de ces sites les juge positivement, et associera positivement une marque au contenu dans laquelle elle s’affiche.

La loi de 2018 sur la transparence de la publicité vise à protéger l’annonceur des univers de diffusion « préjudiciables à l’image de sa marque ou à sa réputation ». La difficulté de mise en œuvre de cette loi, c’est que, justement, du point de vue du visiteur du site, tel contenu n’est pas préjudiciable à la marque. En revanche, lorsqu’un non-visiteur d’un tel contenu voit la publicité de l’annonceur, il peut juger que c’est préjudiciable. Mais normalement, sauf visite de contrôle et copie d’écran, il ne le verrait pas.

En effet, dans le monde merveilleux du digital, la publicité n’est affichée qu’à celui auquel elle est destinée.
Je schématise à dessein, mais on se retrouve à devoir chercher des contenus que l’on désapprouve, pour créer le contexte dans lequel l’annonceur pourrait se sentir offensé !
En résumé, l’annonceur a le droit de penser qu’un contenu est préjudiciable à l’image de sa marque, mais dans les faits, l’impact reste certainement faible.

Vient ensuite la question de l’adéquation entre la publicité et le contenu. Je ne sais pas quel processus cognitif tordu peut assimiler une tondeuse à gazon et une vidéo porno. L’impact branding, peut-être pas négatif pour le visiteur comme on l’a vu, aura en revanche peu de chances d’être positif.

Pour les fake news, la variété des sujets peut créer des poches d’efficacité publicitaire. Vanter un produit touchant à la santé (yaourt ou huile essentielle par exemple) sur un site qui diffuse de fausses informations sur la pandémie de Covid, ça peut marcher. On touche à la santé, le cerveau peut créer des connexions intéressantes pour aider la mémorisation.

Oui, ça me fait bien mal au c… de l’écrire. Ça peut marcher…

Le jugement par l’efficacité, une double erreur, disais-je. Car, si on considère vraiment qu’un article de fake news est de mauvaise qualité on devrait relire mon article sur les clics. Les clics se nourrissent de la déception du lecteur. On ne clique pas sur une pub qui va nous arracher d’une lecture passionnante. On clique souvent pour quitter une page. Soit parce qu’on a fini de la consommer, soit parce qu’elle n’est pas intéressante.

Donc, un site de fake news peut, par sa piètre qualité, se révéler efficace pour la publicité à la performance.

Ça me fait doublement mal au c… d’écrire ça !

La question de la publicité sur les sites de fake news ne doit donc pas se poser en termes d’efficacité. Car la démonstration de la non-efficacité demandera de gros efforts et ses résultats ne seront pas garantis.

Une agence publicitaire jugée sur l’efficacité de ses achats d’espaces pourra donc être tentée de ne pas se priver d’inventaires sur des sites que l’annonceur n’assumera pas. Arguments de performance à l’appui.

Ce n’est pas pour des arguments d’efficacité, mais pour des questions essentiellement morales qu’il ne faut pas acheter de publicité sur des sites de fake news. Pour ne pas financer des individus ou des entités qui cherchent à détruire par des mensonges nos biens communs, justice, science, et démocratie.

Une réflexion au sujet de « Les rapports ambigus de la publicité et des fake news »

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