Faut-il interdire la publicité ciblée ?

Il y a une tendance anti-publicité en ce moment, ne nous en cachons pas.

Elle se traduit par une série d’évolutions de nature différente, mais qui vont toutes dans le même sens :

  • Des comportements individuels
  • Des évolutions légales
    • Le RGPD vient organiser la dépose de cookies
    • La CNIL renforce le recueil du consentement
  • Des évolutions technologiques
    • Les uns après les autres, les navigateurs bloquent les cookies tiers
    • Le consentement sur les iPhones est géré directement par Apple
    • Les adresses IP pourront être masquées dans l’univers Apple
    • Même des tentatives de contournement comme FLoC se heurtent au cadre réglementaire Européen

Certains, comme chez Apple, veulent tuer le modèle publicitaire. Est-ce pour que les flux financiers passent exclusivement par des abonnements sur lesquels la firme touche 30% ? Meuh non, Apple est purement désintéressée, et ne se soucie que du bien-être de ses utilisateurs 😉 !

D’autres comme Google, sont légèrement schizophrènes. Alors que l’essentiel des revenus de la société vient de la publicité, les développeurs de Chrome semblent décider seuls de la fin du fondement technique de la publicité digitale, le cookie.

Le public comprend rarement les choix auxquels il est soumis.
Pourtant il n’est pas con, le public. On ne le lui a juste pas expliqué.
Avant HADOPI, il ne savait pas toujours que les artistes gagnaient de l’argent en vendant des disques. Aujourd’hui, il ne sait pas que les sites ne gagnent souvent leur vie que grâce à la publicité. Et il faut dire que le cadre réglementaire qui a encadré la mise en place du RGPD n’a pas aidé. Quel est l’intérêt de donner aux internautes la possibilité de paramétrer les sociétés auxquelles ils donneront le droit de conserver leurs données ? Même moi, qui bosse dans ce secteur depuis 23 ans, je ne connais pas la moitié de ces sociétés !

Et la CNIL ? Dans le monde des études, certains les appellent les Ayatollahs ! Pas de consentement, pas de publicité ciblée.

Existe-t-il des publicités non ciblées ? Là, je peux être affirmatif, la réponse est non ! Si on ne peut pas cibler la publicité, on n’en fait pas, c’est tout simple. Donc interdire la publicité ciblée revient à interdire la publicité.

Prenons quelques exemples chiffrés.
Si la moitié de son budget est dépensé sur des personnes qui ne sont pas dans sa cible, l’annonceur râle, mais se raccroche au principe de Wanamaker : « Je sais que la moitié des sommes que je dépense en publicité l’est en pure perte mais je ne sais pas de quelle moitié il s’agit ». 50% ça passe.

A l’opposé, Criteo a inventé le ciblage individuel. Chaque publicité est créée pour un individu unique : celui qui a mis une paire de chaussures rouges dans son panier mais ne les a pas encore achetées. En théorie, il touche donc environ 0,000002% (1 internaute sur 55 000 000) de la population. Sans ciblage, dépenser “en pure perte” 99,999998% de son budget n’est pas acceptable.

Où est la limite ? 60% de pertes ? 90% ? 95% ? Ca dépend de la valeur de la cible, et du coût de la pub.

Revenons-en à la CNIL. Pas de consentement, pas de publicité ciblée. Qu’est-ce que le ciblage ?

Il est devenu évident que le ciblage sur la base de données personnelles entre dans la catégorie qui requiert un consentement éclairé.

Le cas de FLoC est plus subtil. Le ciblage ne repose pas sur des données individuelles directement exploitées, mais sur des données individuelles, recueillies de façon anonyme et agrégées, et activées sans qu’il soit possible d’identifier l’individu derrière la publicité. Et bien FLoC n’entre pas dans le cadre défini par la CNIL. C’est pourquoi les tests de FLoC excluent l’Europe, et pourquoi FLoC aura besoin d’un consentement explicite pour cibler les internautes en Europe.

Quid du ciblage contextuel ? En théorie, le ciblage contextuel est un ciblage. Il demanderait donc un consentement explicite des internautes. On m’a rapporté que c’était la position de certains membres de la CNIL.

Qu’est-ce alors que le ciblage contextuel ? Sélectionner des pages qui parlent d’oenologie pour toucher des gens qui s’intéressent au vin, est-ce du ciblage ? Ou savoir que X% des publicités sur telle page sont servies à des amateurs de vin ?
Quel niveau de connaissance sur le contexte serait donc considéré comme du ciblage ? Peut-on “oublier” que l’on sait que L’Equipe parle de sports pour éviter de tomber sous le coup du consentement en ciblant “par hasard” les amateurs de foot ?

Non, c’est clair, le consentement ne peut pas s’appliquer au ciblage contextuel. Ou alors, il faudrait tuer la publicité.

Donc, plutôt que dire “pas de consentement, pas de ciblage”, il faut dire “pas de consentement, pas de ciblage fondé sur des données individuelles”.

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