Pourquoi Meta (et Google) pèsent aussi lourd dans le marché publicitaire ?
C’est une question que je me pose depuis des années. Non pas en tant qu’utilisateur de Facebook (et encore, ça pourrait faire l’objet d’un autre article), mais en tant que professionnel de la publicité.
Meta est gros : mon estimation personnelle, fondée sur les données de Médiamétrie, c’est que Meta (principalement Facebook, Instagram et WhatsApp) représente environ 15% du temps passé par les internautes. Je prends ici en compte les domaines et les applications.
Selon la loi de Le Lay du temps de cerveau disponible, 😉 Meta devrait prendre un pourcentage du marché de cet ordre de grandeur.
Or, à en juger par différentes études (voir Bump notamment), Meta parvient à capter autour de 25% du marché publicitaire digital en France.
Comment l’expliquer ?
La couverture.
On est quand même sur une couverture de l’ordre de 89% (tous domaines et applications appartenant à Meta confondus).
C’est énorme.
Mais n’oubliez pas que le reste de l’internet, c’est 99,9% de couverture ! Autrement dit seuls 0,1% des internautes ne peuvent pas être touchés ailleurs que sur Facebook.
Mais surtout, ne faisons pas l’erreur de comparer la couverture à la part de marché.
Ce qu’il faut regarder, c’est plutôt le temps passé sur ces environnements.
Le temps.
15% du temps pour 25% du marché publicitaire, on commence à se dire qu’il y a peut-être un petit problème.
Pire, si on se souvient qu’il n’y a pas de publicité sur WhatsApp, qui représente environ 4% du temps passé, on arrive à une part de temps plutôt de l’ordre de 11%.
Donc la part de marché publicitaire est plus de deux fois plus grande que la part du temps passé.
Le ciblage.
C’est vrai 100% de l’inventaire publicitaire de Méta est logué.
Et c’est vrai, on a moins tendance à mentir sur son sexe et son âge dans un réseau social qu’auprès d’un fournisseur de data ou sur un site lambda. Lorsque vos amis peuvent voir ce que vous déclarez, le mensonge est plus difficile.
Mais c’est oublier une tendance lourde des jeunes générations (je parle des plus jeunes que moi, mais qui vont encore sur Facebook). La dissimulation est devenue la norme. On ne donne plus son vrai nom, on donne des informations de sexe et d’âge floues, ou erronées. Pourquoi ? Parce que la protection de la vie privée est entrée dans les mœurs.
Les photos de beuverie trouvées par un recruteur, c’est fini. Les dragueurs lourds, on cherche à les éviter.
Bref, la qualité des données n’est plus ce qu’elle était, ma bonne dame !
Par ailleurs, Meta collecte des données d’usages. Pour passer beaucoup de temps sur Facebook, j’ai l’impression d’assister à un effet d’emballement.
Facebook n’est pas seulement un mesureur d’activité. Il propose des sujets ET mesure leur réponse. On n’est pas dans la situation du panel de Médiamétrie qui cherche à ne surtout pas influencer les panélistes pour garantir une mesure neutre.
Avec Facebook, ce que j’appelle effet d’emballement se traduit de la façon suivante :
- Facebook suppose que j’ai un intérêt sur un sujet A
- Facebook me propose un contenu qui traite de A et B
- Facebook en déduit que B m’intéresse aussi
- Facebook me propose donc des contenus qui traitent de B et C, et D, et E
C’est comme ça que je me retrouve avec des contenus de moins en moins pertinents.
Je suis sûr que le MMA fait partie de mes centres d’intérêts selon Facebook. Mais pourquoi ? Peut-être parce que j’ai vu un combat avec un athlète de Crossfit un jour ?
Bref, je crains que le ciblage par centres d’intérêts ne soit pas de super bonne qualité.
Et je ne vous parle même pas de mon « amie » Facebook ardente complotiste dont je lis certaines publications avec un regard de sociologue. Et qui conduit Facebook à me proposer des contenus de naturopathes, des explications farfelues sur la construction des pyramides égyptiennes, etc.
Le caractère social du réseau.
J’ai déjà écrit un article dessus. Méta a maintenant plus la structure d’un média que d’un réseau social.
Il n’y a presque plus de « earned » média chez Meta (l’audience que la viralité apportait à un contenu) seulement du « paid média » (il faut payer pour que son contenu soit visible, comme la publicité sur n’importe quel site).
L’offre publicitaire.
Il faut se rendre à l’évidence, le ratio publicité / contenus est très élevé. Dans mon cas, on est de l’ordre de 1/3 à 1/2.
On est loin d’un ratio de 12 minutes par heure (1/5) fixé par la télévision.
A l’heure où tout le monde parle d’attention, où l’encombrement publicitaire est scruté, Facebook fait au moins l’effort de ne pas montrer deux contenus publicitaires différents en même temps. Mais c’est le seul effort notable.
Sinon, les publicités dans les vidéos sont surtout des midrolls et des postrolls.
Les premiers viennent comme des cheveux sur la soupe. Comment une boite qui investit autant en Intelligence Artificielle peut-elle couper des vidéos au milieu d’une phrase ou d’une action ? D’ailleurs, vous avez remarqué que les vidéos reprennent quelques secondes en arrière (sinon on aurait perdu le fil) ?
Bref, rien de génial côté offre.
La brand safety
Pour avoir bossé dans le domaine de l’adverification, je sais d’expérience que les seuls GAFA ont réussi à interdire la mesure directe de leurs inventaires.
Ce sont eux-mêmes qui fournissent les mesures de visibilité (voir mon article sur le énième scandale de « bug » de mesure de Facebook).
Et comment définir la brand safety sur un flux de news ? Absolument personne ne peut aller voir mon flux.
Tous les utilisateurs de Facebook qui me lisent peuvent en faire l’expérience.
Imaginez-vous annonceur et regardez les contenus avant oui après votre pub. Qu’en penseriez-vous ?
Une vidéo de chat qui se casse la gueule, pourquoi pas. Mais comme j’adore le ski, j’ai aussi des compilations de skieurs qui se cassent la gueule aussi (que je dénonce car je déteste voir des gens se blesser). Et comme Facebook cherche toujours à attirer avec du sensationnel, j’ai aussi des accidents de voiture (que je dénonce aussi pour la même raison).
Bref, la qualité de l’environnement publicitaire n’est pas ce qu’un annonceur attend.
Et il ne peut rien vérifier.
En conclusion.
Je ne suis pas utilisateur professionnel de Meta. Il y a certainement des fonctionnalités utiles, une facilité d’utilisation que je ne maîtrise pas.
Je pose donc juste la question : à part une fascination malsaine pour ce qui est gros, à part le poids de l’habitude, à part des pratiques commerciales limites (y a-t-il des marges arrières ?), qu’est-ce qui justifie vraiment, objectivement, rationnellement, que la part de marché de Méta soit le double de ce qu’elle devrait ?
Un Implcit ne devrait-il pas récupérer une part de ces investissements ? On a les mêmes critères de ciblage, une couverture encore plus large, un temps passé bien supérieur (plus de 50%), une transparence totale sur les contenus, leur visibilité, leur performance.
Facebook Ads | Implcit | |
Couverture | 90% | 100% |
Temps passé | 15% du total | Plus de 50% du total hors GAFA |
Formats | Limités | Tous les formats |
Qualité (brand safety, visibilité) | Invérifiable | Transparence |
Contenus | UGC, pas de média | Tous, dont les medias |
Performance | Déclarative | Mesurée |
Cibles socio-démo | Oui (mais déclaratif) | Oui (qualité Médiamétrie) |
Cibles par centres d’intérêts | Oui (limités à Facebook) | Oui (tous) |
Cibles comportementales | Limité (pixels) | Oui (sans pixels) |
Vie privée | Identifiants, consentement | Respect absolu de la vie privée |
Et si on s’attaquait à Meta ?
