Cet été, j’ai vécu l’expérience (volontaire) la plus éprouvante de ma vie : le trek de la Ciudad Perdida (la Cité Perdue en Colombie).
Sur le papier, ce n’est que quatre jours de marche avec des étapes prévues entre 8 et 20 kilomètres par jour. On a fait pire. Bon, nos objets connectés ont mesuré des distances un peu supérieures (entre 10 et 23 kilomètres), mais en théorie, ça reste jouable.
Ce trek est le seul moyen d’accéder à une cité précolombienne abandonnée au 17ème siècle, et dont il n’est resté qu’un mythe pendant 350 ans. Redécouverte dans les années 70, elle est devenue l’objet d’un trek organisé qui procure aux indigènes locaux des revenus supérieurs au pillage des tombes ou à la coca.
Savoir que l’on va voir une cité qui n’est accessible qu’avec trois jours de marche motive toute la famille. Quatre jours de trek, c’est nouveau pour nous : porter des affaires de rechange, dormir dans dans camps, ça devrait le faire.
Je n’avais pas mesuré l’importance de deux détails : la chaleur et les chemins.
La chaleur tropicale, à quelques kilomètres de la mer des Caraïbes, est chargée d’une humidité saturée. 35 degrés et 100% d’humidité, ce n’est pas les 35 degrés secs que l’on a parfois en France.
Je me suis retrouvé dans un état que je n’ai expérimenté que dans des hammams. Fatigue, transpiration extrême. Dès le premier jour, à chaque pause, je retirais mon t-shirt, et j’en essorais plusieurs décilitres ! Cet état a décuplé la difficulté de la marche. Tout était mouillé, du caleçon aux chaussettes. Et malgré les cordes sur lesquelles on pendait nos affaires pendant la nuit, tout était encore mouillé le lendemain. Ah… Enfiler un short trempé, plonger ses pieds secs dans des chaussures humides, ce petit plaisir du matin !
Avec la chaleur, ces randonnées quotidiennes sont devenues de vraies épreuves.
A chaque montée, mes glandes sudoripares se remettaient en route. Et des montées, il y en a un paquet ! La Cité Perdue se mérite : l’ascension finale c’est 1200 marches étroites et raides (on s’aide parfois des mains), le trek entier compte au moins 2 500 mètres de dénivelé positif. Mais c’est sans compter sur les “plats colombiens”. Un “plat colombien” ne se mange pas, c’est une succession de montées et de descentes qui ne fait au final gagner aucun dénivelé (c’est donc plat à l’échelle du trek), mais qui casse les pattes régulièrement.
J’arrive enfin au thème de mon article : les chemins. Très vite, seuls les trekeurs et les mules peuvent les emprunter. Ce ne sont que des rochers, de la boue, du crottin de mule. Mon kiné serait content, j’ai parachevé la rééducation de mon genou opéré un an plus tôt (plusieurs ligaments rompus).
Mais j’avais la hantise de glisser, de poser mon pied sur un caillou instable, de tomber et de casser un de mes tendons greffés à la place d’un ligament. Dès que je regardais le paysage (les montagnes couvertes de jungle, les sommets disparaissant dans les nuages), je trébuchais. Je devais m’arrêter pour en profiter.
Le reste du temps, mon horizon se limitait aux deux mètres devant moi pour repérer où mes pieds allaient se poser. Quatre jours d’extrême concentration, dont je ne me croyais pas capable.
Au final, je me suis rendu compte que j’avais marché jusqu’à la cité perdue en regardant uniquement mes pieds… On peut aller au bout du monde sans regarder loin !

Comme je ne peux pas m’empêcher de faire des analogies, je me suis dit que c’était une bonne métaphore de l’entreprenariat.
Non seulement l’attention aux détails n’empêche pas d’avoir de grandes ambitions. Mais au contraire, c’est peut-être grâce à cette attention que l’on arrive à ses fins. Si j’avais trop regardé l’objectif (le prochain col, voire la lointaine montagne ultime), j’aurais été frustré, je n’aurais vu que les difficultés, je me serais peut-être même blessé et je n’aurais jamais atteint la Cité Perdue.
OK, l’analogie a ses limites. Le trek était encadré par des guides, et nous avions des chemins pour nous guider. L’entreprenariat ressemble plus à avancer dans la jungle machette à la main.
Mais cette expérience m’a rappelé que mon job consiste à veiller aux détails. Ces milliers de petites actions indépendantes et dont l’accumulation crée succès ou échec selon qu’elles ont été bien ou mal gérées.
On a souvent tendance à lâcher le quotidien pour se concentrer sur le stratégique, le long terme. C’est plus valorisant. Mais c’est l’un des pièges qui attendent les fondateurs de start-ups.
La Ciudad Perdida est venue me le rappeler…