Cet article est une pure fiction (mais tellement probable) !

Nous sommes en 2025.
Les cookies tiers ont rejoint les dinosaures. IDFA a été retiré par Apple, pour forcer les éditeurs à mettre en place des abonnements sur lesquels la pomme prend 30%. Peu de sites y arrivent, et la pub reste leur seule alternative.
Firefox n’a presque plus de part de marché depuis que des nouveaux « standards » mal documentés n’offrent plus la même expérience utilisateur que Chrome et Safari. Et le logiciel libre n’a plus les moyens de s’adapter.
Google et Facebook paient les éditeurs pour les contenus qu’ils diffusent sur leur plateforme depuis 2020. Certains crient victoire, d’autres disent qu’on est juste passés du vol à l’obole. Les contenus diffusés sur Youtube, eux, sont monétisés par Google, même si l’éditeur n’a pas atteint la taille critique pour entrer dans le programme de partage des revenus.
Facebook a toujours fait pareil, mais comme les pubs ne sont pas dans les contenus (au dessus ou en dessous) ça ne se voyait pas.
Instant Articles et AMP sont devenus la norme. Presque plus personne ne consulte plus les sites web en direct.
De toutes façons, sans cookies ni identifiants pérennes, la plupart des sites n’arrivent plus à personnaliser les contenus. Ils n’ont pour la plupart pas la capacité technique de développer leurs propres outils avec des « first party cookies ». Les alternatives comme l’utilisation d’emails hashés et de délégation de domaine sont impitoyablement traqués par Apple et Android. L’alibi de la protection de la vie privé a été validé par de nombreux tribunaux et interdisant toute solution de remplacement.
Pour les sites de base, les petits journaux notamment, la situation ressemble aux années 2000, la croissance en moins.
Pas de solution technique de personnalisation, pas de ciblage publicitaire. Des CPM à 10 centimes les bons jours. Si on veut payer des journalistes (avec une formation de marketing pour attirer les clics par des titres racoleurs), il faut multiplier les emplacements publicitaires. 10, 20 parfois, 30 pubs par page, pas de capping, et de l’auto refresh toutes les 30 secondes pour faire du volume… Bonjour l’expérience utilisateur…
Les gros, eux, ont dû s’adapter. En cette année 2025, Le Monde compte plus d’ingénieurs que de journalistes. Ce média fait partie des rares qui ont pu internaliser leur technologie de personnalisation et de monétisation. Au prix fort.
Mais, comme tous les autres, les grands journaux voient l’essentiel de leur audience diffusée via Google AMP et Facebook Instant Articles. Les règles n’ont pas changé depuis 2020 : 100% si vous monétisez vous même, 70% si Facebook ou Google place ses pubs.
Jusqu’en 2020, ça passait encore : bien équipé avec des technos third party, il valait mieux gagner 100% de 1 € de CPM que 70% de 1,1 €.
Mais depuis que les technos tierces ont disparu en 2021, Facebook et Google ont bénéficié d’un énorme coup de pouce grâce à leurs cookies first party. Cerise sur le gâteau, ils sont devenus les seuls capables de mesurer leurs propres performances. Juges et parties, leurs CPM ont explosé.
Désormais, 70% de 2 € rapporte plus aux sites que 100% de 1 € pour les meilleurs, ou de 10 centimes pour tous les autres… De nombreux sites ont renoncé par eux-mêmes à développer leur audience propre (hors AMP et Instant Articles) et à la monétiser sans Facebook ou Google.
Google et Facebook sont devenus les seuls tuyaux de diffusion et de monétisation. Le web en tant que tel n’existe plus qu’à la marge. Le contrôle est total.
La valorisation de Facebook et Google atteint 10 000 milliards de dollars. Plus personne, même aucun état, ne peut s’opposer à leur pouvoir.
Ils financent 100% des journalistes, et le revendiquent, se parant d’une nouvelle utilité sociale, auparavant ternie par les fake news.
Les journaux, financièrement dépendants, sont simplement maintenus en vie. Sous perfusion.
Un sous-traitant qui meure, c’est du boulot (il faut le remplacer). Un sous-traitant qui survit, c’est tout bénef. On lui impose les règles que l’on veut, et il n’a pas d’alternative.
Je publie ce billet dans mon blog. Je n’ai pas adhéré à AMP et Instant Articles et je ne le ferai. Ce texte ne sera pas relayé sur les plateformes.
Personne ne le lira.
« Le monde sera Tlön. Je ne m’en soucie guère, je continue à revoir, pendant les jours tranquilles de l’hôtel d’Adrogué, une indécise traduction quévédienne (que je ne pense pas donner à l’impression) de l’Urn Burial de Browne. »
Jorge Luis Borges, Tlön Uqbar orbis tertius, in Fictions