Le clic, cheval de Troie des média ?

A l’origine, je voulais écrire un billet sur le retour du clic. Mais la seule introduction s’est développée jusqu’à donner le billet ci-dessous. Le retour du clic et la fin du post-view feront donc l’objet d’autres articles.

Lorsque Nico et moi avons inventé en 2007 la notion même de visibilité publicitaire (et la première techno de mesure), le clic régnait en maître.
Avec la visibilité, une nouvelle mesure, technique et exhaustive, fournissait une alternative plus branding à la notion d’efficacité publicitaire.

J’ai souvent appelé « la fausse bonne idée » ce modèle de mesure de la visibilité publicitaire. En 2007, nous avons naïvement cru qu’en trois ou quatre ans, ce serait plié, et que le marché arrêterait de payer des publicités non vues. C’était sans compter sur les résistances au changement, ainsi que des analyses superficielles des chiffres.

Je m’explique. Comme les clics, la visibilité a l’avantage de la simplicité : des pubs sont servies, certaines sont visibles, parmi ces dernières certaines sont cliquées. Point barre. 

Vous avez remarqué que j’ai écrit « parmi ces dernières » : une pub non visible ne peut pas être cliquée. C’est du bon sens.  OK, avec la définition de l’IAB, si 50% de la surface est visible, l’impression n’est pas considérée comme vue, mais elle peut-être cliquée. Mais ce cas de figure est suffisamment anecdotique pour qu’on puisse le négliger dans ces lignes.

Vu sous l’angle d’une publicité individuelle «  servie -> visible -> cliquée » , la logique est simple. Mais lorsqu’on raisonne en taux (de visibilité et de clics), ça se complique.
En effet, on peut avoir un très mauvais taux de visibilité et un bon taux de clics, ou inversement.  En théorie, on pourrait même avoir un taux de visibilité de 1% (ce qui est archi-nul) et un taux de clic de 1% (ce qui est super bon) !

En 10 ans, je n’ai pas réussi (et personne n’a réussi depuis) à faire accepter par le marché que ces deux indicateurs sont globalement indépendants. 
Ils ont une corrélation positive : une publicité non vue ne peut pas être cliquée. De nombreux acheteurs vont donc chercher des espaces avec des bons taux de visibilité pour leurs campagnes au clic. Mais il existe aussi une corrélation négative que tout le monde devrait connaître.

En 2008, on a mesuré la visibilité et les clics de différents emplacements publicitaires. Sans surprise, le taux de visibilité était plus élevé en haut de page qu’en base de page.  Mais pour les clics, c’était plus compliqué : on trouvait des clics partout.  La solution nous est apparue en analysant des pages de forum sur la fertilité féminine. Les pages étaient très longues (plus de 10 écrans), et les pubs pouvaient s’étager sur une quinzaine de positions tout au long de la page. 
On a alors introduit un nouvel indicateur : le taux de clic par publicité visible (que l’on appelait “taux de clic réel”). Et le graphique de cet indicateur a montré un modèle surprenant. Sur ces pages de forum, les taux de clics réels (sur pub vue) étaient concentrés en haut et en bas de page !

Extrait d’une présentation dans le style de 2009 🙂

Pourquoi ? 

A cause de l’intérêt du contenu.
Une femme concernée par des questions d’infertilité sera plus intéressée par le témoignage d’autres femmes que par un appel publicitaire à cliquer pour découvrir la dernière promo des voyages bidule.

Les clics se concentrent donc en haut de page (« merde, c’est un forum, je cherchais un avis médical »), et en bas de page («  j’ai fini ma consommation média, je suis prête à passer à autre chose »). Entre les deux, beaucoup moins de clics. Surtout si le contenu est intéressant, ce qui était le cas pour ce forum.

Je le dis haut et fort : presque personne dans les média n’a compris ce principe fondamental : les clics sont inversement proportionnels à l’intérêt du contenu !

C’est là tout le drame des journaux en ligne : plus on paie cher des journalistes pour écrire des contenus intéressants, moins les lecteurs cliquent ! Alors pourquoi s’embêter ? Parce qu’il faut aussi faire venir les lecteurs.  Les journaux se trouvent donc dans un équilibre schizophrène entre intéresser pour faire venir et ne pas intéresser pour laisser partir.  Un blogger sans autre talent que de faire venir des visiteurs sur ses pages (avec des titres racoleurs et des articles qui saisissent les tendances) aura de bien meilleurs taux de clics qu’un journaliste !

Un média pourrait-il dire ce vilain secret à une agence ? Si l’agence veut des clics, évidemment non ! Alors on garde le secret dans un coin, et on l’oublie. Les média insistent sur la qualité du contenu. C’est vrai, ils ont raison. Mais cette qualité leur sert à faire venir un lectorat, et les dessert à le faire partir. Ca fait mal aux fesses, mais c’est la triste vérité.

L’un de mes personnages mythologiques préférés est Cassandre. Apollon lui a donné le don de voir l’avenir, mais quand elle s’est refusée à lui, il lui a craché dans la bouche pour que personne ne la croie. Elle avait prédit que le cheval de Troie causerait la chute de la ville. Mais personne ne l’a crue.

Pendant des années, nous sommes plusieurs (n’est-ce pas Yann Crouan ?) à avoir joué les Cassandre, en nous échinant à éduquer le marché. Pour un média, accepter d’être mesuré exclusivement sur des clics est suicidaire !

La visibilité permettait en théorie de sortie de cette impasse. Mais le mal était fait. Biberonnés au clic (avec la puissance de feu de Google, comment lutter ?), les acheteurs ont imposé des critères de performance inadaptés aux médias, qui ont vu leurs revenus fondre. 

Alors, la fin des cookies marquera-t-elle la fin du clic ? Nous le verrons dans un prochain épisode.

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